Blogue de résistance féministe
« Il y a du racisme au Nouveau-Brunswick. Il faut dire le mot. »
Entrevue avec Assia Hussein, travailleuse de soins et femme immigrante
Le mois dernier, à l’occasion du Mois de l’Histoire des Noir.e.s, nous avons reçu un message d’Assia Hussein, qui nous demandait d’agir plus concrètement. Nous l’avons entendu, et nous tâcherons d’en faire plus l’an prochain, ainsi que pendant tout le reste de l’année, pour parler du racisme systémique et amplifier les voix des femmes noires.
Cette année, Assia a accepté de s’entretenir avec nous pour partager son expérience. Son témoignage a fait ressortir des considérations importantes par rapport au travail des femmes immigrantes en temps de pandémie, des défis particuliers qu’elles vivent, et de ce qu’elles ont besoin comme appui du gouvernement provincial. On vous invite à lire son témoignage dans le cadre de notre Semaine de l’égalité des genres, parce qu’il fait une fois de plus ressortir l’importance d’une relance féministe intersectionnelle.
E : Parlez-moi de votre parcours...
A : Je suis une immigrante, originaire du Congo, je suis arrivée au Canada en 2009. Ça fera bientôt 12 ans que je suis ici au Canada. Je suis arrivée avec mon fils, qui est maintenant à Ottawa. Quand je suis arrivée, j’ai fait mes cours d’anglais et par la suite, j’ai commencé à travailler. Mon premier travail ici était comme housekeeping à l’hôtel. Après, j’ai eu l’opportunité de m’inscrire au CCNB de Dieppe, j’y ai obtenu mon certificat de préposée aux soins. Après je me suis mise au travail, dans les foyers de soins pendant sept ans, puis j’ai eu l’occasion d’aller travailler dans les group homes avec des enfants en besoin, où j’ai suivi plusieurs formations pour ce genre de travail. Actuellement, c’est toujours dans ce secteur que je travaille. Je prends aussi soin d’un enfant dans le besoin chez moi, et j’en accueillerai bientôt un deuxième.
E : Avez-vous rencontré des obstacles en tant que femme noire au Nouveau-Brunswick?
A : Oui, absolument, les obstacles, ça ne manque pas! On en a toujours rencontré, des fois on les ignore, ça nous blesse mais on avance quand même. Mais oui, personnellement, je les ai rencontrés, dans le milieu du travail, dans les études, dans le voisinage. N’importe où en fait, on les rencontre.
Mais obstacle n’est peut être pas le bon mot… il y a du racisme. Il faut dire le mot. Quand on dit racisme, on sait de quoi on parle. Et oui, j’en ai rencontrés. Il y a des regards, même, qui signifient le racisme. Il y a des gens qui te regardent et tu sens que cette personne n’est pas vraiment prête à être avec toi. Par exemple, dans le milieu du travail : quand il faut faire du travail d’équipe, et choisir avec qui on veut travailler, tout le monde disparaît. Ou dans les transports en commun, tu t'assois à côté de quelqu’un, et tu vois que la personne se pousse. On ne peut pas dire que tout le monde est raciste, mais il y a des gens qui n’ont pas encore compris qu’il faut vivre ensemble.
E : Donc le racisme est bel et bien présent au Nouveau-Brunswick?
A : Absolument. Les racines systémiques sont là. Je pense à d’autres exemples comme le logement. Les gens ne veulent pas vous prendre comme locataire, ils préfèrent prendre quelqu’un qui a des chats et des chiens que prendre une personne noire qui a une famille. J’ai des amis qui ont été écartés du parcours collégial parce qu’ils étaient Noirs. Les exemples sont vivants. Les gens qui peuvent témoigner aujourd’hui ou demain.
E : Est-ce que vous vous êtes sentie bien accueillie à votre arrivée au Nouveau-Brunswick?
A : Oui, absolument! L’accueil a toujours été merveilleux. J’ai vécu plus d’expériences positives que négatives d’intégration ici. Ce dont on parle pour le racisme, c’est comme 30 % des cas. L’accueil s’est vraiment bien passé. Mais c’est après qu’on a commencé à sentir qu’il y avait des petites piques par-ci par-là.
E : Parlez-nous un peu de la signification du mois de l’Histoire des Noir·e·s?
A : Cette année, avec la pandémie, le mois de l’Histoire des Noir·e·s a été beaucoup moins célébré. D’habitude, le mois de février, c’est un mois de fête, c’est un mois de joie! Mais cette année, tout est arrêté. Mais cela n’empêche pas qu’il faut en parler.
Moi je suis une femme, alors j’ai envie de parler plus des femmes. Nous les femmes immigrantes, on se sent un peu… comment dire, pas abandonnées mais… C’est comme si la pandémie est tombée trop sur nous. Je te donne des exemples. Au moment où la pandémie a commencé, 80 % des femmes immigrantes travaillaient dans les soins. Ça veut dire que ces femmes, elles se sont trouvées toujours dans leur milieu de travail, elles ne pouvaient pas faire de télétravail. Toutes ces femmes immigrantes, elles ne pouvaient pas rester à la maison, puisqu’elles étaient dans les soins. Elles doivent, encore aujourd’hui, continuer à travailler, à aider. Voilà mon souci : les femmes ont continué à travailler, et du coup, les enfants sont restés à la maison seuls. Je l’ai vécu moi, comme femme seule qui s’occupe de ses enfants : il faut continuer à aller travailler, mais les enfants doivent rester à la maison, il n’y a personne aux alentours. Les enfants doivent suivre des cours en ligne. Les enfants ont besoin d’aide. Ça veut dire qu’on a pas eu d’accompagnement, c’est-à-dire que moi je me donne, je vais travailler, je vais aider, mais il n’y a personne pour m’aider, moi. Ça a été un problème et c’est toujours un problème, ce n’est pas encore résolu. On n'avait aucun secours. Il n’y avait pas d’aide, c’était chacun pour soi.
E : Quelles sont les solutions selon vous?
A : Moi je suis une femme immigrante, je ne sais pas comment on utilise tant que ça l’ordinateur, je ne sais pas comment je peux guider mes enfants en ligne. Je connais des gens qui pourraient m’aider dans ma communauté, mais comment je vais les payer? Je n’ai pas les moyens. Ça, c’est un autre problème.
Les femmes immigrantes ont aussi d’autres défis : je me rappelle qu'à un certain moment, on ne pouvait pas travailler à deux endroits. Toute ma vie, j’ai travaillé à deux endroits différents. Tout mon budget était fondé sur deux emplois. Je paye ma maison et mon auto avec deux jobs. Tout était organisé en fonction de ça. Et tout d’un coup, ça se coupe. Je n’ai qu’un emploi. Qu’est-ce que je dois faire? Donc j’ai dû travailler à une place, mais je n’ai plus les moyens que j’avais avant. Où vont tous ces budgets qu’on donne aux gens même qui ne travaillent pas ? Je ne suis pas contre, je ne suis pas jalouse, mais je dis qu’il faut qu’il y ait quand même l’égalité. Nous les travailleurs de la santé, on dirait qu’on ne pense pas à nous autres. On est comme des militaires : tu dois y aller. Point barre. Maintenant, on doit nous dire si on fait partie de l’armée ou non. J’y vais parce que je veux, j’ai ce souci, il y a des personnes qui ont besoin de mon aide. Par contre, moi il n’y a personne qui m’aide. Comment est-ce que je vais m’en sortir? Est-ce qu’il y a une compensation pour les personnes qui ont perdu un deuxième emploi ? Non. C’est difficile. Et je ne parle pas juste des personnes immigrantes. C’est pour tout le monde. Mais en particulier pour nous les femmes immigrantes, on a subi beaucoup de difficultés.
E : Il n’y avait donc pas de programmes d’aide qui tenaient compte de votre réalité et de vos besoins?
A : Pas du tout. Même le salaire n’a pas changé du tout. C’était le même salaire. Avant, pendant ou après : il n’y a pas eu de primes de risque. Je suis une maman, je travaille toute la journée, je ne sais pas ce que je vais rencontrer là-bas, avec tout ce que j’ai comme stress au travail, avec mes enfants qui font l’école en ligne, je n’ai pas d’aide pour les aider à continuer leurs cours. Donc je vis du stress des deux côtés. Et malgré ça, mon salaire reste le même.
E : C’est comme s’il y a toute une partie de la population qui n’existe pas pour le gouvernement...
A : Oui, le personnel de santé, on est oublié. On parle de tout le personnel ici : il y a les médecins, les infirmières, les préposés aux soins, mais il y a aussi les personnes qui font le ménage, la cuisine. On les oublie eux aussi. Mais ils courent les mêmes risques. Personne ne parle d’eux. Je ne sais pas comment le gouvernement fait ses calculs, mais j’aimerais bien qu’il les revoit.
On le fait par amour de notre travail, on ne pense pas tant à l’argent… L'argent ne fait pas le bonheur, mais il en faut pour survivre! Je connais plein de gens qui ont déménagé au Québec parce que le salaire était beaucoup plus haut! On perd du personnel parce qu’on ne met pas d’accent sur le salaire.
E : Merci Assia pour votre témoignage.