Que se passe-t-il en Palestine?
Le 7 octobre, le Hamas lance une opération de guérilla pour franchir la barrière militaire israélienne qui encercle Gaza. Lors de l’opération, la brigade s'empare de colonies et d'installations militaires israéliennes, tuant 1400 Israéliens et en prenant 250 comme otages. La réplique d’Israël, qui déclare un état de guerre le même jour, contre la population de Gaza est brutale. Les bombardements sur la bande de Gaza commencent dès le 8 octobre. Selon les derniers calculs, le tonnage des bombardements équivaut à 2 bombes d'Hiroshima. Un blocus total est mis en place, y compris pour la nourriture, le carburant et l'eau. L’Université Islamique, des hôpitaux, des lieux de culte et des écoles abritant des personnes déplacées sont bombardés. La pénurie de carburant provoque une panne d'électricité. Un ordre d’expulsion est donné à 1 million de Palestiniens du nord de Gaza; des « routes sûres » sont annoncées que pour bombarder les convois de personnes déplacées. 1,4 million de Palestiniens sont déplacés de leur domicile à cause des attaques.
Alors que les approvisionnements s’épuisent pour les 2 millions d’habitants de la ville assiégée, seulement 20 camions d’aide humanitaire[1] sont autorisés à entrer dans la bande de Gaza pour apporter des médicaments, de la nourriture et de l’eau dont la population a désespérément besoin. Le système de santé s’effondre en raison de l'absence d'électricité et de la diminution des approvisionnements. À ce jour, l’hôpital Kamal Adwan est la seule ligne de vie médicale de la bande de Gaza pour soigner les blessés, sa situation critique n'étant pas une coïncidence avec les attaques suivantes de l'armée israélienne. À l'heure où j'écris ces lignes, au moins 16 300 civils ont été tués[2]. Ces chiffres ne correspondront sans doute déjà plus à la dernière mise à jour lorsque ce texte sera publié.
Réaction internationale
Ce génocide contre le peuple palestinien ne se fait pas sans résistance. Partout dans le monde, des voix se sont élevées pour dénoncer ce massacre odieux. Des sit-ins, des manifestations, des boycotts et des appels et courriels adressés à des représentants gouvernementaux font tous partie de la stratégie visant à demander un cessez-le-feu immédiat.
Cette réponse de la communauté internationale est cruciale pour exercer une pression aussi forte que possible sur Israël et les pays qui le soutiennent. Le gouvernement canadien a non seulement affirmé son soutien à Israël et son droit à l'autodéfense, mais s'est également abstenu de voter sur une résolution de l’ONU en faveur d'un cessez-le-feu. Cette résistance généralisée contre les actions génocidaires d'Israël à l'encontre des Palestiniens montre le pouvoir de l'organisation populaire.
Bien que la pratique extensive de solidarité avec la Palestine par des citoyens ordinaires est porteuse d'espoir, certains aspects de sa mise en œuvre restent préoccupants. C'est sur ces actes que je souhaite m'attarder, notamment sur le mépris des hommes palestiniens.
Le mépris des hommes palestiniens
Vous avez probablement entendu les slogans « arrêtez de tuer les enfants » et « arrêtez de tuer les femmes » sur les médias sociaux, dans les marches ou dans la bouche de politiciens. À première vue, ces exigences semblent assez bénignes. Les femmes et les enfants devraient bien sûr être protégés. Cette protection prend aussi une forme spécifique lorsqu’on reconnaît que des femmes et des enfants racisés sont souvent ciblés pour soutenir une tactique génocidaire. Les femmes sont ciblées en raison de leur capacité de reproduire une nation, les enfants sont ciblés pour anéantir ce même avenir.[3] Dans ce contexte, les calculs du ministère de la santé de Gaza, selon lesquels les femmes et les enfants représentent les deux tiers de la population, sont particulièrement importants.
En y regardant de plus près, ces demandes se révèlent toutefois remplies d'une dose insidieuse de féminisme colonial déguisé en solidarité bienveillante avec les Palestiniens. Cette optique se révèle à travers la population qu'elle n'inclut pas dans ses demandes de protection : les hommes palestiniens. Cette protection sélective révèle un scénario bien rodé orienté par un palais féministe colonial. Dans ce cadre, les femmes et les enfants palestiniens sont réduits à des victimes sans pouvoir ou voix, qui méritent la main apitoyée que les féministes occidentales leur tendent. Les hommes palestiniens, en revanche, sont réduits à des terroristes maniaques et irrationnels qui méritent de mourir. Il ne s’agit pas d'une théorie farfelue. Depuis le début des attaques contre Gaza, ses hommes sont accusés de façon généralisée de terrorisme. Les hommes palestiniens sont privés d'humanité, ce qui facilite le mépris de l'Occident à leur égard et justifie les attaques contre Gaza.
Ce portrait généralisé des hommes palestiniens ne tient pas compte des hommes qui se précipitent vers les bâtiments bombardés pour en extraire les blessés et les corps. Il ne tient pas compte des hommes qui font signe aux ambulances de venir chercher les blessés. Il ne tient pas compte des hommes qui portent soigneusement les blessés dans leurs bras. Il ne tient pas compte des hommes qui adoptent les enfants orphelins comme s'ils étaient les leurs, qui essaient de faire rire les enfants survivants traumatisés, qui essaient de les apaiser par des étreintes chaleureuses et de doux baisers. Il ignore les hommes qui constituent la majorité du personnel médical refusant de quitter les hôpitaux menacés par les bombes pour soigner les blessés et offrir une sépulture aux morts.
L'humanité de ces hommes ne devrait pas non plus dépendre de leur représentation en tant que héros accomplissant des exploits extraordinaires de résilience et d'amour face à une catastrophe. Elle ne peut dépendre du fait qu'ils montrent ce que l'Occident considère comme des émotions acceptables, notamment l'espoir et la joie malgré de vivre un génocide, ou la tristesse et le désespoir résultant de la poursuite du Nakba[4]. La victime parfaite n'existe pas.[5] Beaucoup d’entre eux seront en colère, hargneux et à bout de nerfs. Qui ne le serait pas ? Ils assistent au massacre de leur peuple et de leurs proches, ils assistent à la destruction de leurs maisons et de leur ville. L'humanité devrait leur être accordée simplement parce qu'ils sont des humains avec un droit inhérent et inaliénable à la dignité et à la liberté. Cet argument ne devrait pas être la pensée radicale qu'on lui attribue souvent.
Les systèmes d'oppression sont très habiles à jouer une stratégie de division et de conquête. Ils propagent des idéologies qui créent des fractures au sein des communautés et entre elles, affaiblissant les liens de résistance au profit des puissances hégémoniques. C'est précisément à ce jeu que l'on assiste lorsque les femmes et les enfants palestiniens sont pris en pitié, tandis que les hommes palestiniens sont déplorés. Je refuse de jouer ce jeu. Mon féminisme est intersectionnel et décolonial. Et il ne laisse personne de côté.
Sources
AbuMattar, Amer. « The Past 30 Days Of Gaza ». Instagram, 6 nov. 2023
Al Jazeera. « More Death and Destruction in Gaza as Israeli Attacks Continue ». 13 nov. 2023
Saric, Ivana. « Gaza Civilian Deaths Outpacing those of Other Conflict Zones ». Axios, 27 nov. 2023.
[1] Selon le Croissant-Rouge palestinien, 200 camions d’aide humanitaire sont entrés chaque jour à Gaza lors des quatre jours de la trève fin novembre. Même ces 200 convois n’ont pas pu répondre aux besoins de près de 2 millions de personne qui n’ont pas accès à la nourriture, l’eau potable et aux médicaments depuis plus de 6 semaines. https://twitter.com/PalestineRCS/status/1728173985949499581
[2] Pour donner une idée de l'augmentation rapide du nombre de morts à Gaza : ce texte a été écrit en une semaine, avec trois révisions des taux de mortalité.
[3] Une telle tactique est bien établie dans des contextes coloniaux. Le Canada a par exemple eu recours à cette tactique, tant dans l'histoire que dans le contexte contemporain, pour poursuivre ses objectifs de colonisation. Cette tactique génocidaire s'est traduite par la création de « pensionnats », le rafle des années 60, la stérilisation forcée des femmes autochtones et la violence disproportionnée à l'encontre des femmes autochtones, qui s'est traduite en l'épidémie des femmes et filles autochtones disparues et assassinées. Pour plus d’infos, je vous recommande le texte d’Audra Simpson, « The State is a Man: Theresa Spence, Loretta Saunders and the Gender of Settler Sovereignty » (John Hopkins University Press, Vol. 19, Issue 4, 2016) ainsi que le livre de Leanne Betasamosake Simpson, As We Have Always Done : Indigenous Freedom through Radical Resistance (University of Minnesota Press, 2017).
[4] Pour une présentation succincte de la Nakba, je recommande le vidéo résumé de Mohammed El Kurd, « What is the Nakba? ».
[5] L’idée de la victime parfaite est bien reconnue dans le mouvement féministe en ce qui concerne des survivant·es de violence sexuelle. Un argument similaire existe en ce qui concerne la résistance des personnes racialisées à leurs oppresseurs. Pour en savoir plus sur la victimisation parfaite et la politique d'appel en ce qui concerne les Palestiniens, je recommande l'article de Mohammed El Kurd, « The Right to Speak for Ourselves » (The Nation, édition de décembre 11/18 2023).