Il y a quelques semaines, la série américaine Grey’s Anatomy a ajouté son grain de sel au bouillon de sensibilisation à l’endométriose. Une patiente qui souffrait de maux de dos se retrouvait, à peine quelques heures après son arrivée à l'hôpital, dans une salle d’opération où on lui diagnostiquait et lui retirait des lésions d’endométriose (qui est mal définie au passage) par coelioscopie.
Cette opération, aussi appelée laparoscopie, est une procédure peu invasive qui consiste à faire trois ou quatre incisions sur l’abdomen, et y insérer des outils et une caméra afin de déplacer les organes, les ausculter, et retirer les implants qu’y pourraient s’y trouver. Dans cette épisode de la série américaine (que j’ai largement bingée dans mon adolescence), la patiente n’avait jamais entendu parler d’endométriose, elle recevait une prise en charge très rapide, les médecins étaient contents, case closed.
Ça nous a fait rire jaune, dans la communauté des endo-warriors, des patient·es, des advocates, d’imaginer un monde où on n’attend pas 5, 10, 15 ans pour un diagnostic. D’imaginer un monde où notre douleur n’est pas immédiatement attribuée à des troubles psychiques, un monde où les patient·es sont écouté·es, où iels se voient expliquer leur maladie par des médecins compétent·es qui prennent le temps de leur parler de toutes les options, de tous les bénéfices et inconvénients de chaque traitement (quoique même dans le monde de Grey’s Anatomy, ça ne s’est pas passé comme ça).
L’endométriose est une maladie qui consiste à ce que des cellules similaires à celles qui tapissent l’utérus (appelées endomètre) viennent se greffer sur des organes et autres parties du corps où elles n’ont strictement rien à faire, notamment dans le pelvis, l’appareil digestif, les voies urinaires, le diaphragme, les poumons, etc.
« Les lésions d’endométriose sont donc une sorte d’endomètre mutant, puisque le terme ‘lésion’ désigne un tissu anormal. Étant donné que les tissus se ressemblent, les lésions réagissent aux variations hormonales du cycle ovarien. Cela peut entraîner des douleurs, de l’inflammation ou encore des sortes de cicatrices appelées adhérences. » (Marie-Rose Galès dans EndométriOSE poser tes questions. Tout ce qu’il faut savoir sur l’endométriose)
Au menu, donc, des règles très douloureuses (dysménorrhée), mais aussi des douleurs en dehors du cycle menstruel, des douleurs pelviennes, urinaires, lors des rapports sexuels (dyspareunie), des problèmes intestinaux (de nombreuses personnes atteintes d’endométriose recoivent un diagnostic de trouble de l’intestin irritable, faute de réelle cause à leurs douleurs), des douleurs dans les jambes, au niveau du diaphragme, des poumons, des épaules, la liste s’allonge.
Je ne vais pas trop m’attarder à parler de l’aspect scientifique de l’endométriose, cela fait plus d’un an que je lis des articles scientifiques et des livres sur le sujet, et je n’ai pas encore fait le tour de la question, donc un article de blogue ne caressera même pas la surface (wink wink, surface des lésions, repérez mes endoblagues au passage). Pour se plonger davantage dans la-science-de-l’endo, voici quelques ressources :
- Niveau “Je veux tout savoir” (en anglais majoritairement) : Nancy’s Nook Endometriosis Education recense les dernières recherches scientifiques sur le sujet, aide à comprendre la maladie, et permet aux experts de partager leurs savoirs;
- Niveau “Je veux presque tout savoir” (en français) : Les trois livres de Marie-Rose Galès : EndométriOSE poser tes questions. Tout ce qu’il faut savoir sur l’endométriose (Éditions VÉGA, 2021); Endométriose : ce que les autres pays ont à nous apprendre (Josette Lyon, 2020); Endo & Sexo : avoir une sexualité épanouie avec une endométriose (Josette Lyon, 2019);
- Niveau “Je veux en savoir plus et mieux comprendre” (en anglais) :
- Le compte instagram “Extrapelvic not rare”
- “The Nightmare of Endometriosis” le dernier épisode du balado Do We Know Things animé par Lisa Dawn Hamilton, professeur de psychologie et éducatrice en sexualité, auquel mes amies Andrée-Anne Leblanc, Maggie-Eugénie McIntyre et moi-même avons participé.
Pourquoi c’est important d’en savoir plus sur la maladie? Parce que bien souvent, nous, les patient·es, devons en savoir plus que nos médecins afin d’avoir accès à des soins appropriés. Nous devons devenir expert·es de notre propre maladie, parce qu’on ne peut pas compter sur la formation médicale de nos soignant·es.
Nancy Petersen, fondatrice de Nancy’s Nook, le répète souvent : les gynécologues et autres médecins ne ressortent pas de leur résidence médicale avec les connaissances suffisantes pour reconnaitre et traiter adéquatement l’endométriose. Il faut des années de formations et de pratique exclusive dans le domaine pour être capable de prodiguer des traitements qui aident véritablement les patient·es. Dans certains pays, comme en Allemagne, seulement certain·es médecins avec une expertise spécifique sont autorisé·es à opérer sur l’endométriose.
Quel drôle de mot, “patient·e”.
Mon amie Andrée-Anne Leblanc a attendu 14 ans avant qu’une gynécologue lui confirme ce qu’elle avait pressenti, une endométriose. 14 ans de douleurs quotidiennes, débilitantes, de questionnements constants, de remise en question, de dévalorisation de soi-même, de sentiment d’échec. 14 ans pendant lesquels elle s’est retrouvée coincée “dans une situation de pauvreté et dans un cycle d’abus”, dans ses mots.
Moi-même, à presque 30 ans, et en souffrance depuis mes 13 ans, j’attends encore un diagnostic ferme et un traitement à long terme. Si l’endométriose peut parfois être repérée lors d’une échographie avancée, ou d’une IRM, seule l’opération par coelioscopie permet aux expert·es de visualiser les lésions, de les retirer jusqu’à la racine (par exérèse), et de les faire analyser lors d’une biopsie. L’exérèse (“excision surgery” en anglais), est considérée comme étant la méthode la plus efficace, apportant le plus de bien-être sur le long terme aux patient·es. Actuellement, les délais pour obtenir une telle opération au Canada avec un·e spécialiste est de 2 à 4 ans. Ou exactement le temps qu’il faut pour que les lésions soient superficielles ou invasives, pour que plusieurs autres organes soient atteints, pour que l’opération dure 2 ou 8 heures, pour que le temps de récupération soit de quelques semaines à plusieurs mois.
Une des choses que je trouve les plus dures à supporter au sujet de l’endométriose (en dehors des douleurs chroniques et de l’attente interminable), c’est à quel point notre autonomie corporelle y est peu respectée.
À mon amie Maggie-Eugénie McIntyre, qui avait clairement vocalisé son désir d’enfants, une gynécologue a dit « après tous les traitements qu’on va essayer, je ne suis pas sûre que tu puisses encore en avoir ».
À moi, fille d’un médecin de famille, on a dit à la fois, « on ne laisse plus souffrir les femmes sans raison » et « de toute façon c’est une maladie qu’on ne traite que lorsqu’on veut avoir des enfants ».
Nos médecins attendent très longtemps avant de décider qu’il est temps de comprendre pourquoi on souffre, nous forçant à vivre dans des corps de plus en plus handicapants, de plus en plus difficiles à traiter, réduisant notre capacité à vivre notre vie, à étudier, à travailler, à créer des relations. Puis, on nous propose des traitements hormonaux qui font faire du yoyo à notre santé mentale et physique.
L’écrivain et médecin Martin Winckler en parle beaucoup dans ses livres : nos soignant·es sont formé·es à penser et pratiquer la médecine comme si seulement elleux savaient ce qui se passait dans nos corps et comment les soigner, et que nous, patient·es, sommes trop stupides pour comprendre ce qui nous arrive, et encore moins pour faire les bonnes décisions pour nos corps. Il est encore trop rare de trouver des médecins qui :
- respectent nos choix et nos priorités,
- nous expliquent à la fois tous les bénéfices mais aussi tous les risques associés à ces options de traitement.
Sans ces informations, nous ne pouvons pas donner notre consentement éclairé (ou “informed consent” en anglais). Nous prenons des moitiés de décisions qui pourraient encore avoir un impact sur nos corps des décennies plus tard. Et lorsque nous commençons à faire des recherches de notre côté, nous nous sentons trahi·es par ces médecins.
Mais les endovidues et les personnes qui se battent à leurs côtés sont en train de changer tout cela. Des systèmes sont mis en place, comme la bibliothèque de Nancy Petersen, comme icarebetter.com, un organisme de vérification des connaissances des spécialistes de l’endométriose, qui aide les patient·es à trouver les soignant·es qui sauront répondre à leurs attentes, comme la trousse de mobilisation d’Endo Act Canada, et ça marche! Don Davies, député NPD de Vancouver Kingsway, a répondu à l’appel de dizaines de milliers de personnes à travers le pays, et a introduit le 21 mars dernier la motion M-52, pour proposer qu’un plan d’action national sur l’endométriose soit créé et adopté, qui permettrait d’améliorer l’accès aux soins, et d’obtenir plus de financements pour la recherche.
TEXTE DE LA MOTION
« Que :
a) la Chambre reconnaisse que :
(i) l’endométriose est une maladie chronique qui touche au moins une femme sur dix et un nombre indéterminé de personnes transgenres, non-binaires et bispirituelles,
(ii) cette maladie, qui peut entraîner l’infertilité et causer des douleurs débilitantes et d’autres symptômes affectant tout le corps, a ainsi d’importantes répercussions personnelles, familiales et sociales,
(iii) l’endométriose n’a pas de cause définitive connue et peut être gérée par des soins médicaux ou chirurgicaux et par des services multidisciplinaires, selon les aspirations de la personne,
(iv) il faut habituellement de cinq à onze ans avant qu’une personne se fasse diagnostiquer au Canada,
(v) après leur diagnostic, les personnes au Canada doivent attendre des années avant de pouvoir se faire opérer par un spécialiste de l’endométriose ou bénéficier de soins multidisciplinaires contre la douleur chronique,
(vi) les spécialistes de l’endométriose et les soins multidisciplinaires contre la douleur chronique ne se trouvent que dans certaines régions du Canada,
(vii) l’endométriose est une maladie peu connue parce que la souffrance des femmes a toujours été systématiquement ignorée;
b) de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait travailler en collaboration avec les personnes touchées par l’endométriose et les autres intervenants canadiens afin de mettre en œuvre un plan national de lutte contre l’endométriose qui tient compte des priorités et des résultats les plus importants pour les personnes atteintes et qui :
(i) améliore l'accès aux soins,
(ii) fait davantage connaître la maladie aux professionnels de la santé et à la population en général,
(iii) favorise la poursuite de la recherche. »
Maintenant, d’autres député·es doivent appuyer la motion pour qu’elle soit discutée dans la Chambre des communes.
Alors, on y va ou on y va?
Références
Marie-Rose Galès dans EndométriOSE poser tes questions. Tout ce qu’il faut savoir sur l’endométriose, Éditions VÉGA, 2021, via Pr Horne Andrew et Pearson Carol, Endometriosis: The Expert’s Guide to Treat, Manage and Live Well with Your Symptoms, Vermilion, 2018).
Abbott, J. A., Hawe, J., Clayton, R. D., & Garry, R. (2003). The effects and effectiveness of laparoscopic excision of endometriosis: a prospective study with 2–5 year follow‐up. Human Reproduction, 18(9), 1922–1927.